Tourisme : vers de nouveaux modes de consommation et des aspirations différentes ?
Le tourisme sera durablement impacté par le covid-19, notamment économiquement avec les nouvelles façons de consommer le tourisme. Alors que des signaux de reprise sont perceptibles chez l’ensemble des acteurs français, les Entreprises du Voyage ont réuni via une conférence intitulée « Demain, quel futur pour le voyage ? », l’ensemble du paysage touristique. Jean Viard, sociologue et directeur de recherche associé au CNRS, mais aussi à Jean-François Rial, le PDG de Voyageurs du Monde et Olivier Kervella, PDG de NG Travel ont été invités à débattre sur ce qui attend les professionnels du tourisme. Surprise l’écologie est à un tournant…
Si le covid a eu un impact direct et brutal sur notre façon de travailler, de voir le monde et d’anticiper l’avenir, il laissera des traces plus durables.
Puisque le virus a été un formidable levier d’accélération de la digitalisation du monde.
Et mauvaise nouvelle, dans les nouvelles façons de consommer, le e-commerce sortira sans grande surprise gagnant de cette crise.
« Nous avons pu constater de fortes croissances, à deux chiffres, sur l’ensemble du groupe Veepee, aussi bien en France que sur l’ensemble des marchés.
Après nous aurons des interrogations sur 2021, notamment sur les stocks, avec notamment des fermetures d’usines de production en Chine, » confie Nicolas Liogier, directeur général Veepee Voyage.
Et sans doute de prestataires dans le tourisme.
« La digitalisation nous profite, d’autant plus que l’expérience en magasin est fortement dégradée, » analyse le patron de Veepee.
Pendant le confinement, alors que les sites en ligne n’ont jamais cessé d’être accessibles, les agents de voyages ont trainé leurs semelles à l’heure de remettre les clés dans les rideaux des points de vente.
Le e-commerce 1, la distribution physique 0.
Mais la digitalisation du tourisme n’est pas la seule chose à changer ou s’accélérer dans notre secteur.
« Nous sommes face à l’un des ruptures majeures de notre monde… » selon Jean Viard
En effet, « nous sommes face à l’une des ruptures majeures de notre monde. Tout va bouger très profondément dans les mois et années qui viennent, » explique Jean Viard, sociologue et directeur de recherche associé au CNRS.
Comme l’expliquait Sophie Lacour, directrice générale d’Advanced Tourism, dans une précédente interview, le XXIè siècle commence en 2020. Une rupture, c’est désormais une certitude, mais qui plonge le monde en plein doute.
« Pendant deux mois, nous avons été confrontés à la mort, elle a envahi les gens. La population est entrée dans une phase de résurrection, pour savoir ce qu’elle fera du restant à vivre ».
Il y aura un monde après, mais rien n’est écrit, si ce n’est la préface qui contextualise, l’humanité aura à charge d’écrire les prochains chapitres. Dirigeons-nous, vers un monde meilleur et radicalement différent ? Pas nécessairement, selon le PDG de Voyageurs du Monde, Jean-François Rial.
« Je ne suis pas sûr que ça va changer et d’autant moins rapidement. Cette crise a été trop courte, elle va générer plus de divorces que de changement dans le comportement des consommateurs » rapporte-t-il.
Une affirmation partagée par Olivier Kervella, le PDG de NG travel.
« Je ne pense pas que nous allons repartir d’une feuille blanche. Je pense que le monde d’après va ressembler grandement au monde d’avant, » explique-t-il.
Entre les penseurs du tourisme et les chercheurs, si l’analyse est différente, elle n’est pas toujours opposée.
« Nous sommes rentrés pleinement dans le monde numérique, » et qu’importe l’âge. « Les gens vont réfléchir avant de se déplacer s’il est possible de faire des réunions par les outils digitaux, » explique le chercheur du CNRS.
Surtout que dans le même temps, face à perspectives économiques incertaines, les entreprises vont serrer les budgets sur le voyage d’affaires.
En somme notre monde ne devrait pas totalement être bouleversé mais modifié par une accélération des tendances existantes, comme le digital, l’écologie ou encore le local.
Une globalisation déglobalisée ?
Toutefois, dans cette crise, il est un point d’espoir pour l’humanité et le tourisme.
« Nous avons vu que l’humanité a collaboré comme jamais, et jamais nous avons autant regardé le monde. C’est un point important pour les acteurs du tourisme que vous êtes, » analyse Jean Viard.
Il ne faut pas perdre d’esprit que si les frontières se sont fermées, le monde a aussi ouvert des passerelles pour combattre la maladie, durant toute cette période.
Alors que nous pensions que la globalisation était une marche forcée, touchant tous les pays, qu’importent les cultures et les langues, le virus a refermé toutes les frontières.
« Il n’y a qu’une seule terre, mais avec des frontières, nous allons nous poser la question de la régulation de celles-ci. Vers quoi voulons-nous aller ? Le nationalisme ou pas, » demande le sociologue.
Alors que l’Europe a montré la marche à suivre, mais aussi les pays baltes avec la « bulle de voyages », rien ne dit qu’au 31 décembre 2020, toutes les frontières seront de nouveau ouvertes.
Le tourisme devra faire peut-être avec des bulles ou des îlots de sécurité, permettant aux touristes de pouvoir voyager seulement entre quelques pays.
Si tel est le cas alors le tourisme local sera la clé de voute de notre secteur, et les acteurs devront revoir leur façon de produire le tourisme. La réponse sera apportée dans les mois ou les années à venir.
Il est aussi une frontière que notre secteur va devoir faire plier dans le monde d’après : celle avec la nature et l’écologie.
Le tourisme devra-t-il être nécessairement plus écolo ?
« Un peu comme l’agriculture, j’ai l’impression que vous reculez au moment d’aborder la question de l’environnement, mais c’est à vous de proposer à la société un modèle acceptable, » lance le sociologue.
Une affirmation qui remet une pièce dans le débat qui anime depuis quelques années, le secteur.
Sauf que ce dernier pourrait bien être phagocyté, par l’opération survie dans laquelle s’est lancée l’ensemble de l’industrie depuis le mois de février 2020. Un risque à court terme qui espérons-le ne sera qu’un mauvais souvenir lors des exercices précédents.
Une fois la pérennité validée, les acteurs pourront alors se lancer dans leur principal défi : la durabilité de l’activité.
« Le monde du tourisme va devoir avoir un discours sur le thème : comment polluer moins tout en voyageant plus. Ce débat je ne l’entends pas, » affirme Jean Viard, sociologue et directeur de recherche associé au CNRS.
Pour mener à bien cette transition, il est indispensable que les tour-opérateurs et les agents de voyages deviennent des acteurs de celle-ci et ne pas la subir, car sinon le tourisme sera toujours pointé du doigt et stigmatisé.
Malgré ce constat, la solution ne serait pas à attendre de la part des entreprises, mais plus haut, du côté du pouvoir.
« Si on attend que les opérateurs privés basculent, ça ne se fera pas, ce sont aux politiques de le faire. Les consommateurs sont prêts à évoluer, mais pas à payer le prix et mes confrères en général n’ont pas beaucoup bougé, » peste un peu fataliste Jean-François Rial.
Donc pour que le tourisme soit compatible avec l’écologie, il devra en payer le coût en absorbant le carbone émis. Une proposition qui fait écho avec l’analyse du patron de NG Travel.
« Dans le tourisme, nous étions dans un système optionnel, il sera obligatoire de mettre en place des actions pour compenser. A terme, les clients utiliseront cela pour choisir, où et quand ils partiront. »
Une affirmation qui sera sans doute exacerbée par la prise de pouvoir [d’achat] des nouvelles générations, pour qui le militantisme écologique n’est pas un vain mot.
Et Olivier Kervella d’insister sur le fait que le mot « crise » trouve dans ses racines grecques une définition éclairante.
« Cela signifie faire des choix et décider. Les Français feront après cette crise des choix pour un tourisme plus vert et local. »
Un point partagé entre les penseurs du tourisme et les scientifiques.
Le tourisme de demain ? « Nous devons devenir des experts du bonheur de nos clients au quotidien »
Si le tourisme doit opérer sa mue, il ne doit pas oublier ses racines et ce qui fait son essence.
« Il faut protéger, » et c’est aux agents de voyages de le faire, « la création d’une culture globale. »
En effet, l’industrie avec ses voyages à New York, Singapour, Berlin ou Le Cap a rapproché l’humanité, permettant aussi de changer les mentalités.
L’autre n’est pas nécessairement un ennemi.
Cet esprit doit être conservé, mais en y ajoutant des contraintes nouvelles. Avec des mesures sanitaires omniprésentes et peut être aussi des freins économiques.
« Il y aura forcément une baisse du pouvoir d’achat, avec moins de moyens pour voyager, mais avec sans doute plus d’envie. Donc il y aura forcément une modification des voyages, » analyse Olivier Kervella, PDG de NG Travel.
Un changement non pas, par la prise de conscience, mais plus obligation économique, comme après la crise de 2008. Ce n’est pas tout, un choc générationnel se prépare.
« Il faut virer les mecs de notre génération, » lâche Jean-François Rial. « Nous sommes dans l’Ancien Monde, nous ne voulons pas changer nos habitudes. »
Les acteurs du tourisme vont devoir être à l’écoute des moins de trente ans, pour lesquelles l’écologie n’est pas une option ou un label, mais un mode de vie, sous peine de ne plus être à la page.
Le secteur devra s’adapter à une génération plus radicale. Il est important d’écouter et surfer sur la vague du changement, sous peine d’être dans le passé.
« Cette crise est une chance historique pour notre secteur, car elle a mis sous les projecteurs le tourisme, mais aussi le service client que nous fournissons, » rapporte Guillaume Linton.
« Nous devons devenir des experts du bonheur de nos clients au quotidien, » fixe comme cap le président d’Asia.
L’écologie, le prisme sanitaire, le numérique et le local seront les grands axiomes du tourisme de ce XXIe siècle. Des sujets que les Entreprises du Voyage ont abordé lors de cette conférence, sans éluder les complexités du moment.
« Nous nous occupons aussi bien du présent que de l’avenir, l’un n’empêche pas l’autre. Pour conclure, je tiens à remercier la presse professionnelle qui tient la route et le cap, sans recette durant cette période. »
Pour une fois dans le secteur, tout le monde est logé à la même enseigne, avec un avenir flou, mais le monde qui s’ouvre est galvanisant, car en mouvement et sans toutes nos vieilles certitudes.
tourmag du 25 juin