Les entretiens du tourisme du futur : ce qu’il s’est dit…
Les 6 et 7 septembre dernier a eu lieu la 3ème édition des “Entretiens Internationaux du Tourisme du Futur” (EITF 2018) au château de Vixouze, proche d’Aurillac dans le Cantal. Qui ne serait pas intrigué par un tel sujet ? J’y suis allée pour représenter notre collectif de journalistes Voyageons-Autrement. Nous y avons d’ailleurs offert soixante de nos livres “10 ans de tourisme durable”, en particulier aux intervenants. Le développement durable dans le secteur du tourisme : un thème incontournable quand on parle du futur.
Le secteur touristique a-t-il un futur ?
« On doit “penser”, mais aussi “panser”: le monde a besoin plus que jamais d’inventer un modèle différent, un modèle vertueux. Dans le tourisme, les destinations phares sont importantes, mais il est important de mieux irriguer ce flux de tourisme sur tout le territoire.» a déclaré Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État auprès du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, au discours d’ouverture de ces rencontres.
“Vous êtes donc je suis”
Il faut transformer notre mode de pensée pour des entreprises plus éthiques.
« Bien se mélanger, être très créatif et ne pas oublier de se projeter, le tourisme est un acteur essentiel du futur car il pèse tellement lourd dans l’économie mondiale : 1/3 des transactions e-commerce mondiales c’est du tourisme! Le secteur est extrêmement porteur, mais il y a la nécessite d’une vision collective. Trop de tourisme tue le tourisme : l’environnement se dégrade, on n’a plus le même accueil chaleureux dans certaines destinations sur-fréquentées. On sait bien faire des prévisions, mais on n’est pas toujours bons pour les prospectives. Or pour faire des prospectives, il faut des hypothèses : telle est la mission de ces Entretiens Internationaux du Tourisme du Futur. » Christian Mantei, Directeur d’Atout France.
« Les touristes ne sont pas des envahisseurs, ce sont parfois des aventuriers, ou bien des touristes de proximité, ou tout simplement des êtres humains en quête “d’une pause”.» Karima Delli, Députée européenne EELV, Présidente de la Commission Transports et Tourisme.
« Le tourisme est la seule industrie au monde qui encourage à partir à la rencontre de l’autre, à apprendre des différences. C’est un vecteur de paix qui construit des ponts et rassemble les êtres humains. Le tourisme n’est pas un problème, c’est la solution.» Anita Mendirata, Conseillère à l’OMT (Organisation Mondiale du Tourisme)
« Notre planète a ses limites, nous les avons déjà dépassées, l’effondrement est là (voir le dernier livre de Cyril Dion Petit manuel de résistance contemporaine). Il faudrait réduire notre niveau de vie par 6, qui est prêt à un tel sacrifice ? 8% de croissance du nombre de passagers en avion chaque année ces dernières années : il y a l’urgente nécessité de passer à une économie symbiotique et de repenser la notion de croissance. Dans le tourisme, il nous faut revoir les critères et indicateurs de performance touristique, mesurer par exemple le “bonheur” des habitants, l’impact écologique. Aujourd’hui, nous voyageons comme des enfants gâtés, en profitant des bas prix sans prendre en compte la finitude des ressources de notre planète. Ce n’est plus possible de faire des vols pour 40€… Si on continue sur ce chemin-là, on va bientôt vivre comme dans le film Player One : les voyages seront seulement virtuels. Prenons ce défi là comme une superbe opportunité pour construire quelque chose de nouveau. Pour se préparer, je conseille vivement la lecture du nouveau livre de Pablo Servigne L’entraide, l’autre loi de la jungle. » Guillaume Cromer, consultant en ingénierie touristique et développement durable, cabinet ID-Tourisme.
Quelles alternatives pour un futur plus soutenable ?
Une trentaines de conférences, keynotes et discussions ont eu lieu, en particulier autour des sujets suivants :
Ces innovations technologiques qui transformeront le tourisme
Nouveaux modes de transport futuristes, voitures autonomes, voitures volantes, avions sans ailes, voyages dans l’espace, routes photovoltaïques, trains à hydrogène, hyperloop, big data, disruptions mobiles, objets connectés, robots, bots…
« Quand on pense tourisme durable, les nouvelles technologies sont une part de la solution. Avec le Welcome City Lab par exemple (incubateurs de start-ups dans le domaine du tourisme), on est sur la voie. Essayons de penser plus social business et d’intégrer les enjeux de développement durable dans chacun des nouveaux projets entrepreneuriales.» Guillaume Cromer.
«L’enjeu du 21ème siècle c’est l’intermodalité (utilisation de plusieurs modes de transport au cours d’un même déplacement). Aussi il faut repenser les cycle de vie des voitures, avions, navires : les construire en pensant économie circulaire.» Karima Delli.
Remettre les habitants du cœur des décisions
« Bien que le tourisme soit un phénomène international, lorsque l’on parle de durabilité, il faut une approche “de bas en haut”, commencer par penser aux communautés locales. Quels types de tourisme acceptent-elles ? Il faut trouver des solutions pour pourvoir à leurs besoins. Aussi, il est primordial que l’économie d’une destination soit diversifiée et ne pas s’appuyer principalement sur le tourisme, c’est trop dangereux. Ce genre de modèle manque cruellement de résilience.» Yoël Mansfeld, Professeur à l’Université d’HAIFA, Israël.
La place des femmes dans le tourisme
Des discussions ont eu lieu autour d’un propos académique de la professeure de l’ESSEC Viviane de Beaufort (Promotion des Valeurs féminines (et des Talents féminins dans le secteur du Tourisme) pour un tourisme du futur durable avec Laurence Onfroy, Pascal Perzo, FathiaBennis et PO Pulveric) : « Réaliser que c’est le syndrome du minoritaire analysé par S. Moscovici à propos des quotas de minorités ethniques dans les universités US en 1995 qui pousse les femmes à compenser par l’expertise, jouer plus collectif, écouter l’Autre, être soucieuses d’éthique et d’équité… Permet d’adopter une approche inclusive avec les jeunes et les hommes de bonne volonté pour un tourisme du futur plus durable car ces comportements dits féminins sont construits et peuvent être partagés. Good news! Vision pérenne et management plus humaniste sont des valeurs d’un futur durable mixte.»
Travailler les “ailes de saison”
Pour mieux distribuer les flux de visiteurs, et contrer le tourisme du masse, il est important de développer des stratégies pour aller chercher les ailes de saison (périodes qui entourent les hautes saisons), mais aussi de faire preuve de plus de flexibilité concernant les horaires d’ouverture des principaux points d’intérêt touristique.
Rendre plus visibles les “petits” acteurs du tourisme
Des outils comme SiteW peuvent permettre à tous les acteurs du tourisme, même les plus petits, de se saisir à moindre coût de l’outil numérique. Cette notion me parle bien, je l’avais d’ailleurs développée dans cet article écrit durant mon HopTour d’Amérique Latine : Qui sont les Acteurs du Tourisme Durable? Quels enjeux Marketing? À côté de mon engagement au sein du collectif de Voyageons-Autrement, je suis aussi consultante en marketing pour de petites chambres d’hôtes, gîtes, agences de voyage, engagées dans une dynamique de tourisme responsable. J’ai d’ailleurs développé un outil gratuit d’auto-diagnostic pour les aider. Aussi, des initiatives comme Voyageons-Autrement, Vaolo ou encore la plateforme collaborative Voyagir, permettent d’impliquer le voyageurs et valoriser les entreprises touristiques engagées dans ce sens. Cela donne les outils aux voyageurs qui souhaitent devenir de véritables consom’acteurs.
Créer de nouvelles destinations
Pour contrer le tourisme de masse et mieux répartir le flux de visiteurs, il y a besoin de valoriser les destinations les moins connues, voir aussi d’en “créer” de nouvelles ? Le cas du projet EuropaCity est particulièrement intéressant : www.europacity.com/fr/un-projet-pour-demain (sujet d’un article sur notre site internet qui présentera ce projet et les nombreux débats qu’il soulève dans les prochaines semaines ?)
Sensibiliser pour changer les comportements
Les vacances “immersives” peuvent représenter une belle opportunité pour sensibiliser les voyageurs (citoyens du monde) sur les problématiques du changement climatiques et l’importance de changer nos comportements, de préserver l’environnement. “Il n’y pas de mauvais touristes, mais des voyageurs mal informés”, il est important de continuer à sensibiliser les touristes sur les impacts de leurs choix et comportements. Un superbe outil existe d’ailleurs : la charte éthique du voyageur.
Et puis sensibiliser aussi pour faire évoluer les pratiques des grandes entreprises. Frédéric Fontaine, Directeur de l’innovation Lab au sein du Groupe Hôtelier Accor, a témoigné sur les actions déjà mises en place : « Quand Accor crée un emploi, quatre autres sont induits dans sa chaîne de valeur, soit près de 1,5 millions d’emplois associés à Accor dans le monde. En moyenne, 70% de ces emplois sont localisés dans le pays où l’hôtel est implanté. Environ 85% de la valeur économique créée directement ou indirectement par Accor alimente le pays dans lequel l’hôtel est localisé. Nous soutenons aussi l’agriculture écologique : Accor a planté environ 6 millions arbres dans 25 pays (on vise 10 millions pour fin 2020), en particulier chez des agriculteurs pour les inciter à faire de l’agro-écologie : 120 agriculteurs soutenus en France. Il faut aussi, dans le domaine de l’agricole, avoir une approche mutualisée avec d’autres donneurs d’ordres car il y a des obstacles d’échelle. Par exemple, en France, Accor est membre fondateur de “Pour une agriculture du vivant” (avec Système U, Flunch…), pour déployer à très grande échelle l’agro-écologie et permettre un sourcing en masse de produits de qualité et locaux dans nos hôtels. Et ce ne sont que quelques exemples.»
Des réseaux et labels professionnels spécialisés “tourisme et développement durable” permettent de rassembler et valoriser les bonnes pratiques dans le secteur. Comme par exemple ATD (Acteurs du Tourisme Durable qui propose tous les ans les “palmes”) ou encore ATR (Agir pour un Tourisme Responsable, agences de voyage).
Nécessité de faire évoluer la législation
« Il faut arrêter de dissocier : secteur public/privé, mondial/local. Le développement économique est au cœur du développement du tourisme, et il faut travailler tous ensemble en créant des collaborations sur les sujets clefs.» déclare Anita Mendirata. On obtient ce que l’on mesure, mais comment mesurer le “tourisme durable” ? L’université de Griffith travaille à un tableau de bord d’indicateurs mondiaux sur le sujet : www.tourismdashboard.org
« Il faut mettre en place des indicateurs et des jauges, ainsi que des verrous et quotas pour les attractions phares. Peut-être pourrait-on créer un réseau mondial des sites touristiques victimes du tourisme du masse : les identifier sur un site Internet pour sensibiliser les voyageurs, et travailler ensemble pour trouver des solutions ?» explique et suggère Christian Mantei, Directeur d’Atout France. « Utiliser des outils comme Flux vision ou Vison data devient essentiel et incontournable afin de mesurer et mieux contrôler le flot de visiteurs.» ajoute Guillaume Cromer.
« L’arrivée du digital a amené un nouveau modèle économique, et cela sème la panique. Certains acteurs du tourisme ne jouent pas les mêmes règles du jeu. Il faut encadrer les plateformes numériques (Uber, Airbnb…), ainsi que l’économie collaborative (Blablacar, partage de maisons…), donner un cadre législatif. Une résolution sera déposée en Décembre sur ces sujets.» déclare Karima Delli, Députée européenne EELV, Présidente de la Commission Transports et Tourisme.
« Le problème c’est le temps du politique, lorsque vous êtes élu, vous avez la pression, il faut faire vite (vision à 5 ans), alors que concernant le changement climatique, il faut penser à plus long terme. Peut-être pourrions-nous créer une chambre du futur ? Ce serait une chambre de controverse, une table autour de laquelle on se parlerait, on en sortirait avec un compromis. » propose Karima Delli.
Le mot de la fin…
Le changement climatique peut représenter une opportunité : lorsque l’on surmonte une crise on en ressort plus fort, et puis cette recherche et mise en application des solutions pourraient créer des emplois ? Les solutions pour un modèle plus “durable” sont diverses et parfois complexes car elles nécessitent l’engagement collectif de nombreux acteurs. Mais dans l’histoire de l’humanité, on finit toujours par s’entre-aider quand les choses se compliquent… Devra-t-on alors attendre l’effondrement pour enfin passer à l’action ?
voyageons-autrement.com du 9/09/18