CNI : « Angèle Bastiani : une saison 2025 prometteuse et une stratégie de désaisonnalisation en marche »
CNI du 3/06/25
Avec une fréquentation en hausse dès le printemps et un net recul de la dépendance au cœur de l’été, la saison 2025 s’annonce prometteuse. La présidente de l’Agence touristique de la Corse, Angèle Bastiani, décrypte pour CNI les tendances à l’œuvre et revient sur les leviers engagés pour faire évoluer le modèle touristique corse.
Comment se profile la saison touristique 2025 en Corse ? Les premiers indicateurs sont-ils encourageants ?
La saison s’annonce sous de bons auspices. Dès ce printemps, les premiers signaux sont très positifs. Toutes catégories d’hébergement confondues, les perspectives de réservation dépassent celles de 2024 à la même époque. Ce qui semble se confirmer, c’est une progression des séjours sur les ailes de saison et au mois de juillet, tandis que le mois d’août affiche une légère baisse. Cette tendance correspond pleinement aux orientations que nous avons fixées. On observe également une dynamique encourageante sur les marchés allemands, suisses et italiens, auprès desquels nous avons accentué nos efforts de communication, en cohérence avec notre stratégie de déconcentration.
Quel état des lieux peut-on dresser en ce début de printemps ?
Les données recueillies par l’Observatoire du Tourisme sont sans ambiguïté. Le volume des nuitées hors haute saison est en hausse ou au moins stable, selon les mois, tout comme le nombre de passagers accueillis dans les ports et les aéroports. Entre janvier et mai 2025, on enregistre une augmentation de 5,88 % des nuitées par rapport à la même période l’an dernier. Cette progression est tirée par la clientèle internationale, en hausse de près de 7 %, mais aussi par la clientèle nationale, qui progresse de 5 %.
Quelles grandes tendances se dégagent ?
Plusieurs évolutions marquantes se confirment. La clientèle étrangère à haute valeur ajoutée continue de croître. Déjà en 2024, on constatait une augmentation de près de 6 % par rapport à 2023. En quelques années, la part des visiteurs internationaux est passée de 30 % à 44 %. Parallèlement, la demande se tourne davantage vers des séjours axés sur l’expérience, la nature ou la culture. Enfin, même si le pic estival demeure, la dépendance aux deux mois d’été recule de manière continue. Nos efforts en faveur d’un tourisme plus durable portent aussi leurs fruits : la promotion de l’écolabel européen – la Corse est aujourd’hui la deuxième région française en nombre de structures écolabellisées – rencontre un écho favorable, notamment auprès des clientèles du Nord de l’Europe. Ce retour nous est confirmé à la fois par les antennes d’Atout France à l’étranger et par les tour-opérateurs allemands.
La désaisonnalisation reste un objectif affirmé, mais les mois de juillet et août dominent encore. Qu’est-ce qui freine le basculement ?
Les choses évoluent, et il serait inexact de parler de blocage. Le poids de l’été tient à plusieurs facteurs : des habitudes bien ancrées, les vacances scolaires, mais aussi certaines contraintes structurelles comme une connectivité encore limitée en hiver et au printemps, des hébergements souvent fermés hors saison, et une offre d’activités parfois réduite. Nous travaillons précisément sur ces leviers. Et les résultats sont là : en 2017, 48 % des visiteurs venaient en dehors de juillet-août. Ce chiffre est passé à 55 % en 2022, et les années suivantes confirment cette tendance. Le paysage touristique insulaire est en train de changer profondément.
Cette stratégie commence-t-elle à produire les effets attendus ?
Oui, incontestablement. En 2023 et 2024, plus de la moitié des passagers sont venus hors été. Cette dynamique s’amplifie, mais nous devons désormais la consolider. Il ne s’agit pas simplement d’un phénomène conjoncturel : notre ambition est de stabiliser ces flux dans la durée, avec une stratégie fine et adaptée à chaque territoire. Transformer une culture touristique construite depuis plusieurs décennies demande du temps, mais nous progressons.
La Corse est-elle prête à accueillir davantage en dehors de l’été ?
C’est un chantier en cours. Les territoires s’adaptent progressivement, avec pour objectif non pas de reproduire l’été, mais de proposer une expérience différente, plus intimiste. Cela implique un travail sur l’accueil, la lisibilité de l’offre et les services. Nous avons récemment organisé le premier salon MICE en Corse, pour valoriser le tourisme d’affaires, un segment qui représente déjà 9 % de l’activité touristique. Cet événement a réuni 40 agences spécialisées autour des professionnels corses, et il participe pleinement à la désaisonnalisation.
Où en est le dispositif d’achat de flux aériens annoncé par l’ATC ?
Le dispositif a été adopté par l’Assemblée de Corse en mai puis en octobre 2024. Il reste aujourd’hui soumis à quelques contraintes administratives au niveau national, que nous espérons lever prochainement. Ce mécanisme constitue un véritable changement de logique : nous passons d’un modèle passif à une stratégie offensive, en sécurisant des liaisons ciblées hors saison, avec un trafic garanti. C’est une condition essentielle pour rééquilibrer la fréquentation au fil de l’année, car les visiteurs hors été viennent majoritairement par avion.
L’ouverture de nouvelles lignes est-elle pensée en cohérence avec cette ambition ?
Oui, c’est même un critère central dans nos discussions avec les compagnies. Le financement issu du dispositif ne concerne pas la période estivale. Les échanges sont concentrés sur les ailes de saison. En parallèle, nous poursuivons notre travail sur les marchés du Nord de l’Europe, une clientèle à fort pouvoir d’achat qui privilégie le printemps et l’automne. Cette semaine encore, deux délégations de compagnies aériennes, Lufthansa et Edelweiss, étaient présentes en Corse. Elles ouvriront de nouvelles lignes vers le nord et le sud de l’île. Ces visites se font en lien avec les tour-opérateurs et les journalistes, afin de mieux faire connaître la destination au mois de mai.
Les retombées sont-elles perceptibles sur l’ensemble du territoire ?
Oui, mais il est essentiel de poursuivre le travail de déconcentration géographique. C’est un enjeu majeur. Nous menons des actions spécifiques en faveur des communes rurales, à la fois sur le plan de la promotion, de l’accompagnement et du soutien aux acteurs locaux. Le circuit des journalistes suisses dont je parlais intègre par exemple l’intérieur de l’île, avec des visites au musée de la Corse et à celui de Morosaglia. Nos enquêtes démontrent un réel intérêt des visiteurs pour le patrimoine et l’histoire de la Corse. On peut aussi citer la Corsica Cyclo GT20, qui vient de connaître sa quatrième édition. Cette manifestation valorise à la fois le vélotourisme et les territoires de l’intérieur.
Limiter certains excès du tourisme est-il possible sans fragiliser l’économie ?
C’est non seulement possible, mais nécessaire. Car les excès nuisent à l’économie elle-même. L’équilibre n’est pas un slogan : c’est une condition de durabilité. Il ne s’agit pas de remettre en cause le rôle économique du tourisme, mais de construire un modèle plus qualitatif, mieux réparti, mieux accepté, qui crée de la valeur sans générer de tensions.
Des formes de régulation comme dans d’autres régions de la Méditerranée sont-elles envisagées ?
La réflexion est engagée et ne doit surtout pas être taboue. Nous observons attentivement les démarches entreprises par d’autres territoires comme la Croatie, la Sardaigne ou les Baléares. En Corse, les outils sont adaptés à notre réalité : arrêt de la promotion estivale, incitations à faire évoluer l’offre, soutien à la fréquentation hors saison, et aménagement des espaces naturels pour en limiter l’impact. La Collectivité de Corse soutient notamment des opérations Grands Sites ou les aménagements du sentier littoral, pour mieux gérer les flux sur les sites les plus fréquentés.