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APRES LA CRISE SANITAIRE, LA CORSE REDOUTE LA DEROUTE ECONOMIQUE

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APRES LA CRISE SANITAIRE, LA CORSE REDOUTE LA DEROUTE ECONOMIQUE

12/05/20

Dans la région la plus pauvre de France, le poids du tourisme pèse lourd. Les professionnels du secteur craignent une saison blanche et, en cascade, un effondrement du PIB.

Dans le grand hôtel des Roches rouges, perché sur les hauteurs de Piana, village de la côte ouest de la Corse, Mady Dalakupeyan guette les chaînes d’information en continu. Silhouette gracile mais volonté de fer, la patronne gère depuis des lustres ce palace rétro qui surplombe le golfe de Porto. «Je suis devant BFM toute la journée, mais personne ne parle de nous», peste la gérante des Roches rouges. «Nous», ce sont les professionnels du tourisme de Corse : restaurateurs, hôteliers, bateliers, guides, serveurs, cuisiniers, plagistes et tout ce que le secteur comprend de métiers petits ou grands. «Est-ce qu’on va pouvoir travailler cet été ? Dans quelles conditions ? Même si on ouvre, est-ce que les touristes vont pouvoir venir jusqu’en Corse ? S’ils arrivent aura-t-on suffisamment de personnel pour les recevoir ? Nous avons mille questions et aucune réponse pour l’instant», se désole Mady Dalakupeyan. 

Sauf qu’en Corse, le temps presse car le secteur touristique pèse des tonnes dans l’économie locale : 31% du PIB (contre 7,4% en moyenne nationale), 2,5 milliards d’euros et 10% des emplois. Une manne nécessaire dans la région la plus précaire de France où 20% de la population vit sous le seuil de pauvreté et où le chômage est supérieur de 10 points à la moyenne nationale. Or, le tourisme, en Corse, c’est l’été que ça se passe. Pour beaucoup d’entreprises, une mauvaise saison c’est donc une mauvaise année, voire la clef sous la porte pour les plus fragiles.

« Aux Roches, nous avons la chance d’avoir une clientèle fidèle, qui revient chaque année depuis parfois trente ans, se félicite Mady Dalakupeyan. Cela nous permettra d’amortir le choc. Mais la crise sanitaire tombe au pire moment pour nous. Alors on ne se fait pas d’illusions, si on fait 30% du chiffre d’affaires, qu’on arrive à payer les charges et à conserver nos clients on sera déjà privilégiés». Reste que la situation est nettement plus inquiétante pour la majorité des professionnels du tourisme dans l’île, ce d’autant que le tissu économique insulaire est composé en grande majorité de TPE et de PME, petites structures qui n’ont pas les reins solides.

Année blanche

Plusieurs établissements de luxe ont d’ores et déjà annoncé qu’ils n’ouvriraient pas leurs portes cet été, de crainte de ne pouvoir assumer des coûts de fonctionnement trop importants et de perdre de l’argent. Et pour les autres, qui sont nombreux (environ 9 000 entreprises dans le secteur du tourisme), c’est l’incertitude la plus totale. Faute d’informations sur l’avenir de leurs entreprises, impossible pour les entrepreneurs de se projeter ou d’élaborer des stratégies pour garder la tête hors de l’eau.

«Nous sommes très très inquiets et nous avons besoin de réponses, confirme Karina Goffi, présidente de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) section Haute-Corse. A cette époque de l’année, plus personne n’a de trésorerie dans le secteur touristique et il va falloir réagir très vite, faute de quoi nous allons nous retrouver dans une situation inextricable. Les professionnels ont besoin de savoir dans quelles conditions ils pourront accueillir leurs clients, avec quels équipements, combien cela va leur coûter. Les employés, eux, veulent savoir s’ils vont pouvoir trouver un emploi». Ce mercredi 6 mai, une délégation de l’Umih insulaire a remis au préfet de Haute-Corse François Ravier une lettre adressée au président de la République. Dans le texte, une question est inscrite en caractère gras : «Comptez-vous nous aider, ainsi que nos salariés et nos fournisseurs, à enjamber cette année blanche ou, au contraire, comptez-vous nous laisser mourir?»

Effet domino

«On veut faire réagir, parce qu’on n’a plus le temps d’attendre, explique Jean-Christophe Barrau, un des membres du syndicat présent devant la préfecture de Bastia. On veut que l’Etat comprenne que la situation corse est très particulière.» Sans verser dans le catastrophisme, Marie-Antoinette Maupertuis, économiste et conseillère exécutive en charge du tourisme à la Collectivité de Corse concède être elle aussi «très très inquiète» pour l’avenir. «Il y a déjà eu entre 650 et 800 millions d’euros de pertes sur l’avant-saison, calcule l’élue. Si la saison n’a pas lieu, on risque d’entrer en récession à la rentrée». L’économiste redoute un effet domino  «car le système économique tout entier dépend beaucoup de la demande touristique : tous les secteurs qui interviennent en amont ou en aval du tourisme sont concernés jusqu’à l’agroalimentaire et au BTP».

En attendant de savoir si saison il y aura, les initiatives se multiplient sur les réseaux sociaux pour inciter les Corses à faire du tourisme local. Reste qu’avec une population de 335 000 habitants, le marché intérieur ne pourra pas compenser les pertes : l’an dernier 2,7 millions de touristes ont séjourné en Corse.

 

Le figaro du 12 mai

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